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Leurs histoires, notre combat

Leurs histoires
notre combat

Leurs histoires
notre combat

 

Bassel Maleki

Auteur
 

 
 

« Il est essentiel et primordial selon moi de bénéficier de soins de réadaptation physique. Ils permettent plus d’autonomie et améliorent l’estime de soi. »

 

Bassel Maleki, 32 ans, est né en Syrie en 1992. Atteint d’une infirmité motrice cérébrale, il ne peut ni parler, ni marcher, ni accomplir certaines tâches quotidiennes sans aide. Pourtant, ses facultés mentales sont pleinement préservées. À l’aide d’un ordinateur qui génère la parole pour lui, Bassel nous partage son histoire avec une force et un sourire inspirants. De son enfance en Syrie à son arrivée en Belgique en 2004, en passant par sa scolarité dans l'enseignement spécialisé, il nous raconte son parcours semé d’embûches et sa détermination à rester positif face à l'avenir.

 

Tu souffres d’une infirmité motrice cérébrale. Qu’est-ce que cela signifie ? Et qu’est-ce que cela implique ?

Mon corps bouge dans tous les sens et je ne sais pas le contrôler. J’ai le visage sans cesse crispé, ma bouche ne se ferme pas normalement et je salive beaucoup. Je ne sais pas marcher, je suis dans une voiturette électrique. Je ne sais pas du tout utiliser mes mains ! Je ne travaille qu’avec mes pieds sur l’ordinateur. Je suis capable de communiquer en écrivant, car je ne parle pas non plus.

« Ma mère accoucha d’un bébé presque mort », écris-tu dans ton livre : Les clés de mon existence (éditions Fidélité, 2020)…

Il me fallait de l’oxygène mais il n’y en avait pas dans la polyclinique de ce village. Le médecin a frappé sur mon corps et ma tête pour me réanimer. Plus tard, il a annoncé à ma famille que j'étais atteint d’une infirmité motrice cérébrale.

Tes parents ont beaucoup discuté ensemble et ont imaginé des solutions…

Mes parents m’ont emmené chez plusieurs médecins spécialisés dans le pays, mais malheureusement aucun d’eux ne pouvait rien n’y faire. Mon handicap est incurable. C’est pour la vie.

À quoi ressemble ton enfance en Syrie ?

Quand j’étais tout petit enfant, je ne me rendais pas tout à fait compte de mon infirmité. J’avais tendance à croire que les autres m’imaginaient infirme.

Vers l’âge de six ans, j’ai pris conscience que je ne pouvais pas encore m’assoir seul comme les autres enfants. J’avais toujours besoin de ma mère qui me coinçait entre une multitude de coussins pour que je ne bascule pas par terre. J’étais capable de me traîner sur mon postérieur et je pouvais passer d’une pièce à l’autre de la maison. Je rêvais de pouvoir parler. Je voulais communiquer. Je voulais me faire des amis.

En Syrie, il n’y avait pas d’enseignement spécialisé pour les enfants handicapés…

Tu as raison ! J’avais très envie d’aller à l’école comme tous les enfants du village mais on ne m’a pas octroyé cette opportunité. Je me suis senti mis de côté par la société et j’ai donc grandi jusqu’à l’adolescence dans un corps tordu surmonté d’une tête inculte. C’était une vie bien vide et ennuyante. Il m’arrivait de passer des journées entières sans voir personne car les gens travaillaient et chacun vaquait à ses occupations.

Comment es-tu arrivé en Belgique ?

Un an après la mort de mon père, la vie au village était devenue très difficile pour ma mère, ma sœur Noura et moi. Nous avons dû prendre une décision difficile : partir et tout laisser derrière nous. En Belgique, un monde de possibilités s'offrait à moi, prêt à m'aider à évoluer et à m’épanouir. C’est mon oncle qui nous a accueillis à Bruxelles le 4 juillet 2004. J’avais 12 ans. Aujourd’hui, grâce à la Belgique, je vis dignement et je me sens soutenu dans mon handicap.

De quelle manière es-tu soutenu dans ton handicap ?

En Belgique, il existe plusieurs services d’aide au handicap. Mais cela n’est pas toujours suffisant et ne répond pas à tous les besoins spécifiques de mon handicap. Nos fauteuils roulants électriques sont très chers et peuvent parfois s’élever jusqu’à 20.000 euros. Chaque chaise est personnalisée suivant les besoins de chacun. Le travail est exécuté par un orthopédiste qui prend des mesures afin de bien adapter nos fauteuils à nos besoins physiques. Commander ou faire réparer une voiturette prend énormément de temps, parfois des mois.

En Belgique, tu as enfin pu aller à l’école ?

Oui ! Dans une école d’enseignement spécialisé… Je me suis retrouvé dans une classe pour élèves polyhandicapés.

Tu es fier de tes apprentissages et d’avoir obtenu un diplôme ?

Mon parcours a été semé d'embûches en raison de mon handicap sévère. Cependant, je suis fier d'avoir acquis les connaissances qui ont façonné l'homme que je suis aujourd'hui. J'ai obtenu un diplôme, malgré un handicap qualifié de lourd. J'ai toujours espéré pouvoir surmonter mes limitations, mais je réalise maintenant que je ne serai jamais entièrement autonome.

En Belgique, tu as aussi découvert la kinésithérapie ?

Je savais que ça existait mais je n’avais jamais eu affaire à ces magiciens qui soulagent les corps malades. C’était une femme kiné, elle s’appelait Anne. Elle m’a fait un massage de la nuque et des exercices pour me tester. C’était bizarre pour moi. Je n’avais pas l’habitude de me faire manipuler. J’ai ressenti un état de bien-être. Mais au fond de moi, je savais très bien qu’il n’y aurait jamais de miracles.

À quoi ressemble ton quotidien ?

Je bénéfice d’aides quotidiennes grâce à un système de l’Etat qui m’apporte une plus grande autonomie. Je ne parle pas mais je peux faire sortir des sons qui ressemblent à des bruits inhumains. D’une seconde à l’autre, ma tête bascule de droite à gauche de façon assez inattendue.
Seuls mes yeux sont sous contrôle et c’est l’unique chose qui me relie aux gens : mes yeux et mon sourire. Car même si je ne contrôle pas toujours bien mes mâchoires, je peux sourire naturellement.
Mes mains ne sont pas capables de tenir quoi que ce soit et c’est un combat continuel avec mon cerveau pour y arriver.
Mon point fort, ce sont mes pieds. C’est la seule source physique qui va me permettre d’ouvrir des portes sur la communication et de me valoriser aux yeux des autres.
J’ai appris à grandir sans parler, sans marcher. C’était une souffrance au quotidien. Un combat jour après jour. J’ai appris à faire des gestes avec ma tête, des mimiques avec mon visage, des signes avec mes yeux pour me faire comprendre.

Tu te déplaces avec une voiturette électrique ?

C'est une voiturette que je contrôle avec une manette spéciale, utilisant mes pieds, même si je conduis principalement avec ma main gauche maintenant. Un ordinateur Tellus est aussi fixé à ma voiturette, et il peut lire à haute voix ce que j'écris. Je peux donc sortir seul avec l’ordinateur qui me sert d’interprète. Ce moyen de transport adapté est devenu ma vie. Sans lui, je ne suis rien. Je peux aller me promener seul, rencontrer des amis, je peux aller faire mes courses. Je peux découvrir le monde extérieur seul et à mon rythme sans dépendre de quelqu’un. Je me sens si libre, si différent quand je me balade. Je sillonne les rues de Bruxelles, j’observe les gens dans la rue et je me demande ce qu’ils peuvent bien penser de moi quand ils me voient. Certains me sourient, d’autres me saluent.

Quels sont tes défis chaque jour ?

Ma vie est un défi quotidien, mais je reste optimiste malgré tout ! Les problèmes que je rencontre sont souvent liés à la mobilité, l’accès à certains établissements ou magasins, les options liées aux formations professionnelles et au secteur du travail. La communication reste encore difficile dans certaines situations quand mon matériel tombe en panne. Comme vous pouvez bien l’imaginer, si je ne possédais pas ma voiturette électrique et mon appareil de communication, ma vie serait beaucoup plus compliquée.

À quand remonte ta première rencontre avec Handicap International ?

C’était il y a 4 ans, lors d’un évènement où pas mal d’associations pour les personnes handicapées transmettaient des informations. Mon ami Antoine Sépulchre, qui est maintenant le directeur d’Handicap International, m’a présenté à l’équipe lorsque j’ai fait ma conférence « Vivre et comprendre le handicap ». J’ai eu l’honneur de la donner dans les bureaux de l’ONG.

Tu soutiens régulièrement l’association et tu as déjà participé plusieurs fois aux 20 km de Bruxelles au sein de l’équipe #WeMoveTogether de Handicap International. Qu’est-ce qui te motive ?

Quand j’étais enfant, je m’ennuyais et je rêvais d’aller courir avec les enfants du village. C’est une sensation unique, un moment de partage et de gaieté. Les participants en ressortent renforcés dans leur estime de soi. Il est donc naturel de comprendre ma motivation à pratiquer ce sport avec Handicap International.

Que ressens-tu pendant les 20 km de Bruxelles ?

C’est un sentiment de liberté, des frissons envahissent mon corps… Voir tous ces spectateurs m’apporte une fierté et de la valeur. C’est un partage unique de se faire pousser à l’aide d’une joëlette, qui demande pas mal d’énergie et d’endurance de la part de mes accompagnants sportifs. Ces moments passés avec eux sont merveilleux et uniques.

Pourquoi est-ce important que tout le monde ait accès à des soins de réadaptation physique, quel que soit l’endroit où il vit ?

Il est essentiel et primordial selon moi de bénéficier de ces soins de réadaptation physique. Ils permettent plus d’autonomie et améliorent l’estime de soi. Il est plus que nécessaire d’avoir cette opportunité dans le monde entier pour les personnes en situation de handicap.

Les Lacets bleus de Handicap International célèbrent leurs 25 ans. Que représentent-ils à tes yeux ?

C’est un défi motivant et soutenant pour les soins de rédaptation des personnes handicapées dans le monde entier, grâce à Handicap International. C’est un geste symbolique pour soutenir les personnes handicapées dans leurs besoins et leur matériel, afin de leur offrir une expérience unique et la possibilité de se dépasser chaque jour.

photographie : Bas BOGAERTS

photographie : Bas BOGAERTS