William Boeva
Humoriste
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« Nous vivons dans des réalités tellement distinctes, que la société estime fournir le soutien approprié aux personnes handicapées. Mais dès que l’on se retrouve dans une situation de handicap, on comprend à quel point cette réalité est différente. »
William Boeva est un humoriste, présentateur et acteur bien connu en Flandre. En 2022, il a publié une carte blanche sur l’inclusion. Il est devenu depuis une figure de proue et un défenseur passionné des droits humains.
William, depuis quelques années, tu es bien plus qu’un comédien. A quel moment as-tu décidé que tu voulais aussi utiliser ta voix pour les autres ?
Quand j’ai gagné la Humo’s Comedy Cup en 2012, beaucoup d’organisations de défense des droits des personnes handicapées se sont adressées à moi. J’ai refusé parce que je ne me reconnaissais pas en elles. Sans vouloir être irrespectueux, les personnes handicapées que j’avais rencontrées jusqu’alors étaient dans une situation de grande dépendance. Je pensais toujours : je n’en suis pas au même point. Avec les années, j’ai commencé à y réfléchir davantage.
Quels facteurs ont influencé ton regard à ce sujet ?
Mon père a joué un grand rôle. Il a participé à la Deuxième Guerre mondiale en tant que président de la Witte Brigade Fidelio (un groupe de résistants, ndlr) et il m’a appris qu’il ne faut pas juger trop vite les autres. On doit parler, comprendre et écouter. Tu ne peux pas prendre ainsi tes distances avec un groupe dont tu fais partie.
J’ai aussi commencé à prendre conscience à quel point je m’adaptais à une société qui ne m’était pas accessible. Je travaille, je paye des impôts, mais je ne peux même pas prendre le train. Je cache ma chaise roulante pour ne pas mettre les autres mal à l’aise. Tout cela au prix de moi-même pour pouvoir avoir les mêmes chances. Ce sentiment d’injustice a commencé à me ronger. Maintenant que j’ai finalement une voix qu’on écoute, je dois faire un choix : parler ou me taire. Je veux parler, pour que les autres personnes handicapées reçoivent aussi leur chance et accélérer le mouvement.
Aujourd’hui, tu as choisi de collaborer avec Handicap international. Quel est ton lien avec l’organisation ?
Je fais souvent référence à Handicap International. C’est pour moi une institution, du niveau des toutes grandes organisations. Cela impressionne, même un public sceptique. J’entends régulièrement que j’exprime mes opinions uniquement par intérêt personnel. Parce que j’ai critiqué certains programmes TV, on m’a accusé d’être jaloux. En me référant à des experts et des organisations comme Handicap International, je montre que ce que je dis est basé sur des faits, pas sur des motivations personnelles. Ce n’est pas uniquement mon problème mais quelque chose de systématique dont beaucoup de personnes en situation de handicap font l’expérience.
Avec sa campagne autour du Lacet Bleu, Handicap International met en lumière l’importance de l’accès universel aux soins de réadaptation. Ce n’est pas un secret que tu as toi-même dû suivre tout un parcours de revalidation.
À ma naissance, mon handicap n'était pas apparent. Ce n'est qu'à l'âge de trois ans que cela est devenu évident. J'ai alors entamé un long parcours médical, avec ma première opération à cinq ans. J'ai subi plusieurs interventions d'allongement des membres jusqu'à l'âge de seize ou dix-sept ans. Aujourd'hui encore, je fais face à des problèmes de santé, tels que des étirements musculaires et la nécessité d'avoir deux prothèses de hanche, ce qui requiert un suivi régulier. Cela continuera d'ailleurs tout au long de ma vie. J'ai déjà dû réapprendre à marcher sept fois.
Cela semble un processus extrêmement lourd. Comment le vois-tu, avec du recul ?
Au moment même, c’est une malédiction, mais elle est temporaire. La douleur diminue et ne l’emporte plus sur les effets positifs. Ce processus d’extension des membres m’a permis de ne pas devoir tout adapter dans ma vie. C’est difficile, mais gérable.
Peux-tu donner un exemple concret de ce que ces opérations ont changé dans ta vie ?
Je peux cuisiner sur une cuisinière ordinaire par exemple. Sans ces opérations, cela n’aurait pas été possible. Tu dois trouver des solutions pour beaucoup de choses, et en général ça fonctionne bien, mais la société ne nous facilite pas les choses. Les solutions peuvent aussi coûter beaucoup d’argent. C’était un véritable investissement en moi-même qui me permet de vivre mieux.
On dirait que ce parcours a aussi été un parcours mental.
Absolument. J’ai appris beaucoup grâce à cette expérience. Je suis déterminé à mener la vie dont j’ai envie. La réadaptation ou d’autres obstacles ne m’en empêcheront pas.
Peux-tu imaginer qu’à certains endroits, à peine trois pour cent de la population a accès à ces soins ?
Oui, j’en ai bien conscience. Même ici, la situation est tout sauf parfaite. Nous vivons dans des réalités tellement distinctes que la société estime fournir le soutien approprié aux personnes handicapées. Mais dès que l’on se retrouve dans une situation de handicap, on comprend à quel point cette réalité est différente.
As-tu un exemple en tête ?
Il y a quelques années, on a volé le moteur de mon fauteuil électrique. On me disait alors souvent : “Demandes-en un nouveau”, mais cela ne fonctionne pas comme cela. Vous n’êtes remboursé que d’une partie seulement. La pièce complète coûte 11 000 euros, mais je ne reçois que 3 500 euros de remboursement. Le reste, je dois le payer moi-même. Cela ne va pas. Sans ce moteur, je ne peux pas sortir de chez moi, alors que c’est un besoin de base pour mener une vie digne. Heureusement, j’ai un emploi qui me permet de couvrir cette dépense. Mais pour quelqu’un qui touche une pension d’invalidité, ce n’est pas tenable. C’est déjà assez compliqué de s’intégrer dans la société sans ces coûts supplémentaires et tous ces obstacles.
Le 9 octobre, tu noues tes Lacets Bleus pour Handicap International. Qu’est-ce qui t’a convaincu de participer à cette campagne ?
L’accès universel aux soins de réadaptation est un droit fondamental. Les gens ne réalisent pas assez qu’il existe une minorité dont ils peuvent faire partie un jour ou l’autre. Peu importe qui vous êtes ou ce que vous faites : si demain Usain Bolt est frappé par le sort, il peut aussi devenir une personne avec un handicap. Il suffit parfois de dix secondes pour changer une vie. Quand vous retrouvez dans une telle situation, vous êtes dépassé par ce parcours de réadaptation. Nous devons normaliser cela et le rendre plus accessible.
Quel message souhaites-tu faire passer ? De quoi voudrais-tu que toutes et tous prennent conscience et changent ?
Je veux que toutes et tous comprennent qu’avoir un handicap ou besoin de soins ne signifie pas la fin de sa vie. La question n’est pas de savoir si tu auras besoin d’un traitement de réadaptation un jour, mais quand et comment y faire face. C’est pour cela qu’il est si important de normaliser les soins de réadaptation et les rendre plus accessibles. Si les gens savent qu’il existe un bon système et un filet de sécurité pour tous, le pas vers l’acceptation se réduit et moins angoissant. L’expérience de la réadaptation peut même devenir enrichissant, si nous l’abordons de la bonne façon.
photographie : Bas BOGAERTS
photographie : Bas BOGAERTS